29 mars 2024
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Insécurité : « face au terrorisme chaque action individuelle compte », Fawzi Banao, Chercheur sur la crise sécuritaire au Sahel

Dans cette interview Fawzi Banao, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel analyse sur les contours des attaques terroristes au Burkina Faso et propose quelques pistes de solutions.

L’InfoH24.Info : Vous conduisez actuellement des recherches sur la gouvernance des pays en conflits. Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce thème ?

Yves Fawzi Djarazemi Banao :  Je suis présentement dans un programme doctoral international conjoint entre le Centre d’Etudes et de Recherches en Développement International (CERDI) et le centre de recherches Emile Bernheim. Ma thématique de recherche porte sur la « mobilisation de ressources et gouvernance des pays en conflit : Cas du G5 Sahel », en l’occurrence « Pourquoi le Sahel est si affecté par le phénomène djihadiste et pas d’autres régions de l’Afrique ? Quelles solutions de mobilisation de ressources endogènes, innovantes et adaptées au contexte des pays du Sahel ?

Le choix de mon thème de recherche a été motivé pour trois principales raisons. En premier lieu, la thématique de recherche est en cohérence avec la crise sécuritaire contemporaine que rencontre depuis bientôt une décennie les pays du Sahel. En effet, la résolution de la crise sécuritaire est la problématique majeure des pays Sahéliens car sans sécurité il n’y a pas développement ni investissement. A ce facteur s’ajoute la volonté pour les centres de recherches dans lesquels j’effectue ma thèse d’étudier la question afin d’être à la pointe de la recherche. La deuxième raison du choix de cette problématique de recherche vient de la notion de l’offre-demande. Nous sommes face à une demande accrue de spécialistes mais avec une offre de compétences minime. En effet, en dépit de spécialistes des conflits en Afrique centrale, celle de la zone sahélienne est encore insuffisante. Pour appuyer mes propos, il est fort de constater la faiblesse de spécialistes de gestion des finances publiques et de mobilisation de ressources en situation de crise.  Nos pays ont besoin de spécialistes à la fois pointue sur une thématique et surtout qui connaissent le terrain. Enfin, étant burkinabé, je ne pouvais pas rester insensible face à ce problème que nous vivons. Par conséquent, il s’agit pour moi d’un devoir de mettre en jeu toutes mes capacités et mon énergie afin de trouver des solutions concrètes, réalistes et endogènes de sortie de crise.

Quel est le regard que vous portez sur le Burkina Faso, depuis l’étranger ?

Comme tout Burkinabè de la diaspora, c’est avec le cœur affligé que j’observe l’évolution de la situation sécuritaire. Je suis doublement affligé car j’effectue un travail de recherche quotidiennement sur la problématique, je suis donc obligé de manipuler des indicateurs dénombrant les civils tués lors des attaques. Toutefois, j’ai l’image d’un pays qui se bat tant bien que mal avec des citoyens qui se soucient de l’avenir de la nation en dépit des difficultés. En parlant de batailles, j’ai à l’image, nos agents du ministère de l’économie et des finances qui restent l’une des meilleures administrations fiscales en termes de performance de la zone ouest africaine. A titre illustratif, en 2017, nous avons réalisé 11,27% du PIB par tête de recettes fiscales propres contre 8,2% au Mali. Cela témoigne de la résilience dont tout l’Etat fait preuve face à l’adversité.

Quand on parle de l’insécurité au Burkina, dites-nous ce que nous devrions savoir, notamment qu’est-ce le Burkinabè lambda ne sait pas ?

Tout d’abord, il s’agit d’une erreur que l’opinion publique commet en réduisant le phénomène de l’extrémisme violent à un problème burkinabè. Donc le citoyen lambda du Burkina, du Mali, du Niger, du Tchad et maintenant de la Côte d’Ivoire doit comprendre que la gestion efficiente et surtout la résolution du conflit ne dépend pas seulement de son pays car il s’agit d’un conflit de nature contagieux. Par conséquent l’action d’un citoyen malien ou mauritanien a une répercussion sur le citoyen Burkinabè. Ensuite, il convient que le citoyen lambda puisse comprendre et s’approprier des causes endogènes du conflit pour y faire face. Dans cette optique j’ai rédigé un article dénommé « Les causes de la contagion de l’extrémisme violent au Sahel ». Il a été publié sur le site de l’IPSA (Initiative pour la paix et la sécurité en Afrique). Dans ce document, je fais ressortir trois causes majeures de propagation de l’extrémisme violent au Sahel notamment les causes géographiques, économiques et ethniques. Je l’ai voulu compréhensible et surtout accessible par tous.

On parle de plus en plus d’intérêts impérialistes qui contribuent à la déstabilisation du pays. Que suscite en vous cette manière de penser ?

Je vous remercie pour cette question sensible. Toutefois j’aimerais dire que je n’ai pas les compétences pour y répondre. Il est clair que les spéculations et les débats sur l’impérialisme nous rendent surtout inactif, dans une spirale de débat sans aboutissement. Mon travail au quotidien est de trouver des solutions concrètes au-delà des débats afin de sortir de cette crise.

Avez-vous l’impression que le Burkina Faso a les moyens d’en finir avec le terrorisme ?

A cette question, je réponds par l’affirmatif : oui nous pouvons sortir de la crise.

Tout d’abord, le Burkina est un pays très résilient, et l’a démontré en 2014. Ensuite, comme nous le savons, l’une des principales causes du conflit est le caractère géographique. En effet, la difficulté pour nos camarades au front demeure le maillage du territoire. Ayant le pays le mois vaste parmi les cinq pays du G5, cela amoindri nos efforts de maillage. A titre illustratif comparativement au Mali qui a une superficie d’environ 1,2 million de Kilomètres carrés, nous avons un territoire moins vaste avec 274 000 kilomètres carrés à sécuriser. Ensuite, nous avons des hommes sur le terrain courageux qui se battent au quotidien pour la préservation du territoire et surtout qui ne désertent pas le champ de bataille. Pour finir, il est courant de constater de vives critiques au niveau politique. Toutefois, les concitoyens doivent comprendre que la tâche est difficile. Car chaque décision prise met en jeu des vies, aussi bien militaires que civils.

Concernant les étapes de résolution du conflit, nous pouvons nous attarder sur la question économique. En effet, il faudrait une mobilisation accrue de ressources afin de financer nos politiques de défense et de développement. Comme toute guerre, l’aspect financier demeure un élément clés de résolution du conflit. Ainsi, il faut rapidement axer nos efforts de mobilisation des ressources au niveau de nos finances publiques. Cela permettrait de motiver les troupes et surtout de redonner de l’espoir aux populations par des politiques d’inclusion sociale. Ensuite, il faut mettre l’accent sur la lutte contre la circulation des produits illicites sur le territoire. Pour cela il existe plusieurs moyens dans le domaine économique.

Qu’avez-vous envie de dire aux Burkinabè face au terrorisme ?

Pour faire face à cette crise, les populations doivent se tenir debout aux côtés des institutions. En effet, le principal but des attaques puis de la divulgation des tueries principalement via le net est de susciter une indignation de la population afin de créer le chaos institutionnel. La violence des attaques est principalement pour une révolte populaire.  Enfin, chacun doit faire de son mieux pour faire avancer les choses dans les différents secteurs. Chaque action individuelle compte pour la résolution du conflit.

Avez-vous un dernier mot ?

Nous devons nous battre chacun dans son secteur afin d’une part d’honorer nos disparus causés par cette guerre et d’autre part assurer un avenir pour les prochaines générations. Cela y va également de notre responsabilité.

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