30 avril 2024
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Terrorisme au Burkina Faso: « Ce n’est pas Blaise Compaoré qui est en train de vous attaquer mais le MUJAO», Serge Daniel

La lutte contre le terrorisme dans les trois pays du Sahel n’a-t-elle pas échoué ? Sur le terrain, l’on assiste à la multiplication des attaques. Quelles sont les raisons de cet échec dans les pays du Sahel ? Pour comprendre, L’InfoH24 s’est entretenue avec le journaliste et écrivain, Serge Daniel, auteur de plusieurs livres sur le Sahel, spécialiste des question sécuritaires au Sahel. Lisez !

InfoH24 : Dites-nous les raisons qui expliquent la détérioration de la situation sécuritaire dans les trois pays du sahel ces derniers mois ?

Serge Daniel : C’est le constat d’échec global de ces pays dans la lutte contre le terrorisme. C’est ainsi qu’il faut voir les choses. Vous avez une crise qui a commencé au Mali en 2012 avec l’intervention de Serval pour stopper l’avancée des djihadistes. Après Serval, la suite n’a pas été bonne. En effet, à partir du moment où il n’y a pas eu de véritable combat entre les djihadistes et les forces étrangères notamment avec les forces françaises de l’opération Serval. Il fallait s’attendre sur le terrain à une évolution des évènements.  

Je me souviens que quelques semaines avant l’intervention française, j’étais en reportage à Gao, une ville à l’époque occupée par les djihadistes. Ils disaient s’attendre à une intervention. Et quand les forces étrangères allaient intervenir, ils ne vont pas combattre. Ils vont plutôt partir parce que cette guerre sera longue. Donc c’est le résultat de l’échec global de la lutte contre le terrorisme dans les pays du Sahel.

Qui sont les responsables de cet échec global ? 

Les responsables de cet échec ce sont d’abord nos gouvernements. Ceux qui sont au pouvoir. Ils sont responsables parce qu’ils sont chargés d’assurer la sécurité des populations. Donc il leur appartient de prendre des mesures pour assurer la sécurité des populations.

Est-ce que la communauté Internationale a joué pleinement son rôle ?   

L’autre responsable, c’est aussi la communauté internationale qui n’a pas su faire le maillage sécuritaire des territoires des pays du sahel. Je m’explique. Vous savez par exemple que dans le Sahel Barkhane a succédé à Serval. Mais on n’a pas coordonné les actions des opérations sur le terrain avec les autres forces. La communauté internationale est responsable parce qu’elle n’a jamais voulu donner un mandat rigoureux aux troupes du G5 Sahel.

Est-ce que la lutte contre le terrorisme doit se mener sur le plan militaire seulement ?

Cette lutte n’est pas seulement militaire sur le terrain. La lutte contre le terrorisme, c’est aussi le développement. Dites-moi combien, on a investi dans ces zones pour les développer depuis 2012. Je ne vois pas beaucoup alors que le développement doit être transversal comme solution. 

Vous ne pouvez plus aujourd’hui envisager le développement d’une ville à la frontière entre le Niger et le Mali tout en occultant les villages environnants. Ce qui signifie que le problème de développement doit être le même dans les trois pays. On n’a pas réussi à voir le Sahel d’un seul œil en matière de défense par exemple.

Certains experts disaient que les armées des trois pays montaient en puissance mais sur le terrain le constat est tout autre. Qu’est-ce qui explique cette situation?

Le problème de nos armées n’est pas seulement un problème d’équipement. Si vous voyez dans les pays du sahel, je ne vais pas citer de nom, leurs hélicoptères sont toujours pilotés par des Ukrainiens, des étrangers qui vont au combat. Il y a un problème de stratégie. Vous voyez, les djihadistes sont estimés à un millier dans tout le sahel. Je dirai même plutôt à plusieurs milliers. Mais ils n’ont pas un seul hélicoptère, pas de blindé, pas de char; or si vous prenez ce que j’appelle coalition, c’est-à-dire nos armées, les forces étrangères, ce sont des centaines d’avions, des milliers de blindés et d’armement lourds et malgré tout, on n’arrive pas à les vaincre. Ce qui signifie qu’on a un problème de stratégie. Nous avons des bonnes armées, mais il y a des problèmes.

Le journaliste et écrivain, Serge Daniel ©infoh24

Quels sont ces problèmes selon vous ?

Il y a un problème de stratégie. Aujourd’hui, je ne trouve pas utile que le Burkina Faso achète un hélicoptère pour son armée dans la zone des trois frontières et que le Niger achète le même hélicoptère. C’est un gaspillage. Et c’est une mauvaise stratégie. A partir du moment où le Burkina a payé un hélicoptère, cet appareil doit servir pour les trois pays. Et les autres pays doivent payer autres appareils pour une complémentarité. Il faut mutualiser les efforts dans cette lutte.

Quel est le problème du Burkina Faso ?

Si vous prenez un pays comme le Burkina Faso pendant longtemps, les autorités se sont trompées au début des attaques. Je me souviens au début du premier quinquennat du Président Roch Kaboré, j’ai dit à des amis, les autorités se trompent. Ce n’est pas Blaise Compaoré qui est en train de vous attaquer. Votre problème c’est le MUJAO (le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) dont j’ai rencontré  les dirigeants à l’époque, quand ils étaient à Gao et qui est devenu l’Etat islamique. Au Burkina Faso, l’ennemi n’a pas été sous-estimé mais on ne l’a pas identifié de manière formelle.

C’était une sorte d’ovni (un objet volant non identifié) mais identifiable. Pendant longtemps les autorités au pouvoir ont pensé que c’était Balise Compaoré qui déstabilisait le Burkina. On a pris du retard. Ensuite, parlant de stratégie, les forces spéciales auraient pu être comme une force anti-terroriste puisque cette force était composée de commandos spéciaux.

« Une seconde erreur de mon point de vue au Burkina, c’est ce qu’on a appelé les Volontaires.« 

Je le dis parce que j’ai lu une fois dans la presse Burkinabè que l’ancien Premier ministre Zida  a dit qu’il faut lever des troupes comme les volontaires (on ne peut pas lever des troupes, on forme des troupes). Moi, je suis contre le phénomène des volontaires. Pourquoi. On ne vient pas dans l’armée pour fuir le chômage, mais par vocation. Donc il fallait recruter et former plutôt. Et c’est cela le véritable problème.

Dites-nous au Sahel, quelles sont les forces terroristes en présence ?   

Dans le sahel, on a deux forces, l’Etat islamique et Al-Qaïda. L’Etat islamique veut une chose, c’est de créer des états sous régionaux  avec l’islam comme base et avec une violence inouïe. Il s’intéresse aux trois frontières. Alors Al-Qaïda de Iyad Ag Ghali veut l’application de la charia dans chaque pays. Les autorités n’ont pas pris en compte tout cela pour pourvoir avancé. La montée en puissance des armées,  c’est normal. Au début, les soldats fuyaient mais présentement ils y font face. Mais cette montée en puissance des armées doit être coordonnée.

Est-ce que la difficulté n’est pas aussi le fait que les pays de l’Afrique de l’ouest ne parlent pas le même langage dans cette lutte contre le terrorisme ?

C’est possible mais il y a quand même une particularité car les pays sahéliens n’ont pas accès à la mer. Les micro-états sont plus fonctionnels. Il faut aller vers les grands ensembles et je suis d’accord. Mais, il ne faut pas que cela soit une coquille vide. La communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest, l’union monétaire ouest-africaine sont des espaces, où il faut une intégration réelle pour pouvoir lutter contre le terrorisme.

Quelles sont les actions à entreprendre pour freiner le recrutement des jeunes par les groupes terroristes ?  

Il faut lutter contre la corruption. Si vous gérez bien votre pays, vous aurez moins de terroristes. Si vous gérez bien votre pays, vous aurez moins de pauvreté. Si vous gérez bien votre pays,  vous aurez moins de crimes. Si vous gérez bien votre pays, vous aurez une situation de civisme qui vous permettra d’aller de l’avant. Avant,  on pouvait parcourir le Mali d’une zone à une autre environ 500 kilomètres sans trouver les traces d’une administration. (Pas d’écoles, de centre de santé). Il faut revoir tout cela.

Qu’est-ce qui explique la réduction des soldats tchadiens dans la zone des trois frontières ?

Il faut d’abord signaler que c’est 400 hommes selon mes informations. Ensuite c’est une stratégie. Si vous voulez être efficace contre le terrorisme. C’est ne pas le nombre qui fait la stratégie. Aujourd’hui par exemple, les terroristes sont à moto.

Qu’est-ce qui se passe dans la zone des trois frontières ?

Vous voyez que c’est cyclique lorsque les djihadistes de l’état islamique massacrent les populations dans le nord du Mali quelque temps après c’est au Burkina puis au Niger. Et,  ils disparaissent. C’est stratégique et les gens n’observent pas. C’est quand ils disparaissent qu’on doit aller les chercher à la source.

Il faut le souligner, ce n’est pas le Tchad qui doit assurer la sécurité des trois frontières mais aux pays des trois frontières d’assurer leur sécurité. Le Tchad est venu en appui. Et c’est ce que Feu Deby disait à l’époque. « Si l’ONU mettait à sa disposition les moyens, il pouvait déployer ses forces. Il avait accepté de venir appuyer la sécurité au niveau des trois frontières à la demande de la France ».

Aujourd’hui, une partie des troupes repartent parce que dans cette lutte,  ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité.  Quand les troupes étaient arrivées à la zone des trois frontières, selon mes informations, c’était la France qui prenait financièrement en charge la logistique et l’installation. Mais après qui va prendre en charge. Donc cette réduction est d’ordre financier. En plus Déby n’est de ce monde et les nouvelles autorités tchadiennes ont d’autres priorités.

Quand prendra fin cette crise que certains experts projette pour 20 ans ?

Je ne peux pas prévoir l’avenir concernant une sortie de cette crise mais vous voyez sur le terrain comment les choses se déroulent actuellement. Dans le Sahel sur trois habitants, il y a au moins deux qui ont moins de 18 ans. Le Sahel est devenu un carreau de feu placé dans le vendre du monde. Et aujourd’hui,  il faut craindre forcément,  le pire parce que les djihadistes continuent de recruter, à former et à détourner une partie de la jeunesse.

Si  nous n’arrivons pas à trouver la solution, il y aura pas de véritable remontée. Dans chaque pays, il y a une espèce de nombrilisme politique qui fait que nous n’avançons pas. Et s’il n’y a pas cette véritable volonté avec une véritable stratégie clairement définie, je pense que nous ne pourrons pas sortir de cette crise.

Comment vous voyez le Sahel dans dix ans ?

Moi, je vois des troupes étrangères partir, ce qui va encore rendre les populations plus fragiles.  Il faut travailler pour les trois zones.  Il faudra une sorte de décentralisation plus poussée et que le transfert de compétences soit effectuée pour les populations.

Si on veut réellement s’en sortir, il faut une démocratie qui se base sur les réalités locales. Est-ce que c’est normal que dans le Sahel, des zones, parce que la densité de la population serait de 4,5/kilomètres carrés, manquent de réseau téléphonique ou de centre de santé. Ce n’est pas normal.

Chaque citoyen doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs. Et cela doit passer par la bonne gouvernance. Si nous n’avons pas de la bonne gouvernance, nous n’allons pas pouvoir s’en sortir.

Ce qui est arrivé en Afghanistan n’aura-t-il pas de répercussion dans le Sahel ?

Quand on compare l’Afghanistan au Sahel, cela  me fait un peu sourire. J’ai entendu tellement d’experts sur la question. Sur le principe, si les forces étrangères repartent, il y aura un danger.  Mais la différence entre l’Afghanistan et le Sahel,  c’est qu’ici ce sont des zones et  non un pays. Je ne vois pas comment les djihadistes peuvent venir à Ouagadougou sans des complicités internes.

C’est pour ça que nous avons deux choses à faire. Si les forces étrangères quittent le Sahel, je suis persuadé que les djihadistes vont occuper  encore des parties de nos territoires. Ça, c’est sûr mais dire que les djihadistes vont descendre dans les capitales aussi facilement, je ne sais pas, si cela sera faisable. C’est pour cela aussi il faut un dialogue inter-religieux. Nos religieux peuvent contribuer à un climat de paix.                                 

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