Environnement et Economie verte : « La fiscalité environnementale utilise des instruments dissuasifs et incitatifs dans le but d’influencer le comportement des agents économiques » Martin Houle, expert en fiscalité environnementale

L’environnement constitue de nos jours un enjeu important au niveau mondial, au regard des menaces qu’il subit en terme de désertification, de perte de diversité biologique et de changements climatiques. Pour un pays comme le Burkina Faso où plus de 90% de la population dépendent des ressources naturelles pour leurs besoins, il convient que dans les comportements quotidiens, une attention particulière soit prêtée à la préservation de l’environnement. Conscient que le développent durable passe par un changement de paradigme de l’économie nationale, le Burkina Faso s’est engagé dans un processus de transition de son économie vers une économie verte inclusive. La mise en place d’une politique fiscale environnementale apparait comme un instrument efficace dans la lutte pour la préservation de l’environnement à travers la réalisation d’une étude sur la fiscalité environnementale. C’est pour mieux comprendre cette nouvelle approche que nous avons tenu notre micro à Martin Houle, économiste et expert en fiscalité environnementale.  

 Infoh24 : Peut-on mieux vous connaitre ?

 Martin Houle : Je voudrais d’abord dire merci pour l’opportunité que vous me donnez pour parler de l’écofiscalité. Mais avant, je suis Martin Houle, de nationalité canadienne. Je suis économiste de formation, j’ai travaillé dans la fonction publique canadienne au niveau provincial et national. Fort de ces expériences, la vie m’a amené à travailler après dans une firme appelée CRC SOGEMA qui intervient depuis trois décennies en Afrique sur des projets de développement pendant trois ans. C’est comme ça que je me suis intéressé au développement international, notamment en Afrique. Cette expérience m’amené à renoncer à mon poste fédéral pour me consacrer à temps plein comme consultant.

Dans votre parcours de consultant à SOGEMA, vous vous êtes intéressés à la fiscalité environnementale. Dites-nous pourquoi cet intérêt ?

 En ce qui me concerne au ministère des finances, je m’occupais de la politique fiscale et budgétaire au gouvernement du Québec, ce qui était plus large. Selon le mandat que le ministre ou le sous-ministre (secrétaire général) pouvait me convier, moi en tant qu’économiste, je devais agir. Mais vous savez que l’économie est une science malléable ; c’est-à-dire, une science qu’on peut adapter à m’importe quel secteur donné. Dans le cas de la fiscalité environnementale, cela m’a intéressé, parce que j’ai travaillé pendant six ans au ministère des ressources naturelles du Canada. Cela m’a amené à être sensible aux enjeux d’adaptation aux changements climatiques liés à l’unité politique d’adaptation des changements climatiques dans mon pays et de matière général au secteur des mines, des forêts, de l’énergie ; le Canada étant un pays pétrolier. Par ce fait, j’ai été sensibilisé à toutes ces questions et quand je me suis lancé consultant indépendant la firme pour laquelle je travaille a souhaité que je m’occupe de ces questions. C’est ainsi que je me suis intéressé à la fiscalité environnementale

Et au niveau du Burkina Faso, on n’a proposé une première phase qui est une étude sur la fiscalité environnementale. Ensuite, une seconde phase et là on n’est à la phase trois qui est une phase de dissémination d’information, de sensibilisation des décideurs publics et de la population aux enjeux des changements climatiques et au fait que, l’écofiscalité est un outil pour bien se préparer aux défis du changement climatique.

Qu’est-ce que l’écofiscalité ?

L’écofiscalité est un outil que peut choisir d’utiliser un gouvernement pour essentiellement changer le comportement des individus et des entreprises, afin de les amener à être plus écoresponsables.  Cela veut dire, que le gouvernement peut émettre un prélèvement sur des produits estimés polluants, mais également procéder à des allégements fiscaux pour jouer sur le bon comportement des consommateurs pour les amener à acheter les produits non polluants.

Quel est l’intérêt de la fiscalité environnementale de nos jours en particulier pour un pays comme le Burkina Faso ?

Dans un premier temps comme je le disais, l’intérêt de la fiscalité environnementale c’est de changer nos comportements. La fiscalité environnementale étant relativement un nouveau concept, il faut remonter le temps pour mieux le comprendre. Il faut vous rappeler, il y a quelques années le débat sur le tabagisme. Il y a beaucoup de pays où les gouvernements ont été sensibilisés par la science, que le tabac était nocif pour la santé et entrainé des coûts, lorsque les fumeurs tombaient malades. Dans un souci de santé publique, l’Etat a instauré des taxes sur le tabac. C’est le même principe lorsqu’on parle de l’environnement. Lorsqu’il y a des produits qui polluent, l’Etat par la fiscalité environnementale si, on prend le cas de l’essence, va taxer le produit le plus polluant et le moins polluant sera taxé dans une proportion bien gardée dans le but d’encourager les sources d’énergies renouvelables comme l’énergie éolienne, le solaire.

 Ainsi par ce principe, la fiscalité est l’outil et s’applique à différents degrés dans tous les pays. On parle souvent de taxe carbone ou au Burkina Faso par exemple de la taxe sur les produits pétroliers (TPP). Selon les informations de 2019, le consommateur burkinabè paie 125f/l de TPP pour le super 91, alors que pour une voiture diesel, la TPP est de 50f/l. En se basant sur la fiscalité environnementale, on va dire au gouvernement qu’il a une fiscalité environnementale qui tend à encourager le recours à un carburant qui est plus polluant le diesel, que le super 91. Le diesel contient des particules fines, qui sont toxiques pour la santé. Aussi, une bonne pratique d’écofiscalité, consisterait à taxer le carburant le moins polluant dans ce cas précis le super et à taxer le plus polluant c’est-à-dire le diesel. C’est le genre de chose qui est proposé au gouvernement pour paramétrer sa fiscalité environnementale de manière à ce qu’elle génère un résultat environnemental positif favorable.

Lorsque vous me parlez de l’intérêt pour un pays comme le Burkina Faso, je dirai pour contrôler la pollution, le ministère de l’environnement a sorti un tableau de bord. Ainsi pour les villes comme Ouagadougou ou Bobo-Dioulasso, il a mis en place des capteurs de pollution dans différents secteurs de la ville. En quoi un pays comme le Burkina Faso, qui est un pays en développement avec une pauvreté qui est plus importante que d’autres pays est importante.  Ainsi, il suffit de regarder le taux de pollution qui existe dans une ville comme Ouagadougou. Nous avons l’OMS qui détermine les normes de pollution à 50 microgrammes, Ouagadougou est à 1000 microgrammes. Le gouvernement burkinabè en appliquant la fiscalité environnementale, va aider les citoyens à respirer un air de meilleur qualité. C’est un élément primordial dans l’instauration de la fiscalité environnementale.  Si on fait une comparaison avec d’autres villes dans le monde, des villes comme Pari, New-York ont une qualité d’air supérieur à Bamako ou Ouagadougou. Cette incohérence ne s’explique pas, car le Mali et le Burkina Faso n’émettent presque pas de CO2, par rapport aux pays occidentaux. En utilisant l’écofiscalité, au Burkina Faso, le taux de pollution serait réduit et la qualité de vie des burkinabè s’en ressentirait.

Pouvez-vous revenir de façon plus détaillé sur votre mission au Burkina Faso ?

Dans la perspective de l’instauration de l’écofiscalité au Burkina Faso par le gouvernement, notre mandat a été de faire une étude. Et je l’ai mentionné un peu plutôt, la phase trois de cette étude était de parler des résultats de l’étude. Présentement, nous sommes dans ce contexte-là. On a rencontré les hommes de presse, les agents de la Fonction Publique, les représentants de la société civile et bientôt on va animer pour finir un séminaire gouvernemental pour transmettre les résultats de l’étude.

On peut retenir que l’étude contient 24 recommandations qui touchent les 4 secteurs de l’écofiscalité ; qui sont l’énergie, les transports, les ressources naturelles, la pollution et gestion des déchets. Dans chacun des 4 secteurs, on a une liste de recommandations qui a pour objectif de paramétrer les mesures fiscales existantes au Burkina Faso. Nous avons 50 mesures répertoriées écofiscales, qui lorsqu’elles sont mal paramétrées engendrent des résultats négatifs pour l’environnement, pour la qualité de l’air. Alors lorsqu’elles sont mieux paramétrées, elles permettent d’avoir une meilleure qualité de l’air et de mieux gérer les ressources naturelles. A ce stade, lorsqu’on parle de fiscalité environnementale, cela inclut les tarifs, les taxes, les redevances qu’on applique sur les ressources naturelles. On a ainsi, les mines, les forêts, l’eau, les ressources animales et halieutiques qui font partie de la fiscalité environnementale.

Lorsque tout cela est bien paramétré, elles aident résolument non seulement à réduire la pollution au Burkina Faso, notamment dans les grandes villes. Mais cela permet de gérer de manière durable les ressources. Avec la déforestation constatée depuis des décennies au Burkina Faso, avec la superficie de forêt qui disparait, on n’aura plus de forêt à un moment donné. Et une des recommandations justement dans l’application de l’écofiscalité faite au gouvernement, c’est de revoir les tarifs en vigueur dans le secteur des forêts. On a par exemple la stère de bois qui coûte 300 FCFA suite à un arrêté de 1982. Mais depuis cette date, il y a eu beaucoup d’inflation. Les 300 FCFA, laisse croire, que la ressource de bois au Burkina Faso est abondante. Mais si on veut parler de gestion durables de ressources, pour permettre aux futures générations d’en profiter, on doit revoir cette tarification.

De nos jours combien de pays se sont imposés l’écofiscalité ?

Je n’ai pas de chiffre précis présentement, mais je peux vous dire dans une portion considérable, l’ensemble des pays occidentaux, beaucoup de pays en développement sont sur cette voie. Lorsqu’on parle de fiscalité environnementale, la partie fiscalité génère des recettes pour l’Etat qui doivent être bien utilisées et une façon de les utiliser, c’est de compenser, car à court terme il y a de la résistance. Dans l’application d’écofiscalité, il faut expliquer aux populations le choix qui est fait. Généralement, lorsqu’on explique aux populations pourquoi le gouvernement va dans une direction, elles comprennent, mais lorsqu’on fait l’erreur d’imposer des choses sans expliquer, c’est la meilleure manière qu’au final une réforme qui est dans l’intérêt des populations soit rejetée.  Et nous allons faire une recommandation pour que toutes les nouvelles approches au niveau de l’écofiscalité soient bien expliquées.

Dans la nouvelle approche de l’écofiscalité, on retrouve le concept de « pollueur-payeur », qu’est- ce que cela signifie ?

Le concept de pollueur-payeur se traduit par l’écofiscalité. En effet, si l’on mène une activité économique qui pollue, par exemple qu’on fabrique un produit qui est mis en vente, le coût de la pollution de ce produit ne sera pas compris dans le coût de la fabrication du produit. Ainsi, le pollueur-payeur c’est simplement d’utiliser la fiscalité environnementale pour internaliser les externalités. Le coût de la pollution est une externalité et la fiscalité environnementale permet d’inclure dans le coût de fabrication d’un produit polluant l’estimation du coût de la production.  Si vous habitez à côté d’une usine de production de caoutchouc, vous subissez la pollution produite par l’usine, mais celle-ci ne partage ses profits avec vous.  Dans le concept du pollueur-payeur, l’usine doit compenser la pollution qu’elle vous fait subir.

Pensez-vous que l’écofiscalité implémenter au Burkina Faso est la solution pour résoudre le problème environnemental ?

Je ne dirai pas qu’elle est la solution, mais une des solutions et une importante façon de résoudre le problème environnemental. Si on maintient des tarifs bas pour des ressources comme la forêt ou l’eau, cela envoie le signal que la ressource est abondante ; ce qui est le contraire. Dans ce contexte-là, il est important de s’interroger, afin de bien paramétrer la fiscalité environnementale du pays pour qu’elle génère des résultats satisfaisants.

Je voudrais dans ce sens inviter tout un chacun à s’intéresser à l’écofiscalité, parce qu’avec la rencontre de Glasgow pour la COP 26, qui demande à tous les pays de revoir leurs stratégies et leurs actions pour réduire les émissions des gaz à effet de serres sur la planète. La terre se réchauffe, cela est causé par l’industrialisation et on pourrait dire que c’est la faute aux pays occidentaux aux pays développés. Mais le drame, c’est toute la planète qui est interpelée. Dans 30 à 40 ans, les scientifiques prévoient que les températures augmentent de plusieurs degrés. Si on considère que le Burkina est un pays chaud, l’augmentation va créer des bouleversements par exemple au niveau de la chaine alimentaire, sans parler des pollutions dans les grandes villes du pays.

L’intérêt premier pour la population burkinabè devant la fiscalité environnementale, c’est un outil très efficace, pour réduire la pollution atmosphérique, les émanations, accroître la qualité de vie et la santé publique des populations.

L’instauration de l’écofiscalité ne sera-t-elle un frein pour un pays comme le Burkina Faso qui aspire au développement ?

C’est tout le contraire. Si nous prenons l’exemple que le Burkina Faso décidait de s’isoler et de ne pas avoir envie de revoir sa politique pour la rendre plus écoresponsable, en laissant la population utilisée de veilles voitures et générer beaucoup de pollution des usines qui sont inefficaces d’un point de vue environnementale. Ce qui va arriver à la longue c’est que les produits burkinabè ne seront pas compétitifs par rapport à ceux du reste du monde. Si le Burkina continue à produire dans un milieu pollué, comment ses produits seront accueillis face aux autres produits venant d’un pays moins pollué, qui s’est imposé des normes environnementales supérieures. Le choix du Burkina aura un impact économique direct au niveau internationale et même national ; si le pays n’est pas capable d’exporter ses produits qui sont de moins bonne qualité en mettant en danger la population, cela n’aura pas de sens.

La population mérite un environnemental d’aussi bonne qualité, que celle du reste du monde.  Et cette décision repose beaucoup plus dans les mains des responsables nationaux. En appliquant la fiscalité environnementale c’est pas pour faire plaisir à la France, à la chine, à l’occident ou à quiconque, c’est pour servir d’abord les intérêts des burkinabè et ce n’est pas évident, car on parle de chose complexe, mais l’expérience international nous permet de tirer les bonnes leçons des pays qui ont fait la pratique de l’écofiscalité. Aujourd’hui dans une discussion, qu’on peut avoir avec les membres du gouvernement, on peut s’inspirer des bons coups, comme des moins bons pour développer des politiques burkinabè qui sont adaptées au réalité locale, tout en s’inspirant des bons exemples de l’internationale. Au final, le Burkina Faso est en excellente position pour faire face à ce défi qui touche tout le monde.

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