Le décryptage sur le retrait de la France et ses allies avec la politologue et présidente de l’African Security Network, Niagale Bagayoko.
Après presque dix ans de présence sur place, l’armée française et ses alliés européens doivent se retirer du Mali, estimant que ses dirigeants, installés suite à une succession de coups d’État, ne sont plus des interlocuteurs amicaux. Cette situation a rendu impopulaire les soldats français. Et le gouvernement malien s’est même montré hostile à la présence française. Il préfère faire de la place à une société russe.
Cette fin était-elle inévitable ?
Niagalé Bagayoko : Oui, je pense que ce retrait est inscrit dans le droit fil de la dégradation extrêmement profonde de la relation politico-diplomatique entre Bamako et Paris qui ne date pas du coup d’état dans le coup d’état du 24 mai dernier mais qui remonte à mon avis à deux ans sous le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
L’armée française doit démentir le sentiment d’échec qui prédomine aujourd’hui.
Niagalé Bagayoko : Il y a aujourd’hui le sentiment que la France, par son intervention militaire, n’a pas réussi à enrayer la dégradation continue, l’enracinement de ces groupes djihadistes et leur expansion géographique jusqu’au nord des pays côtiers. C’est là qu’on mesure la difficulté d’avoir mobilisé un instrument militaire qui, il faut le rappeler, a eu un nouveau mandat puisque l’opération Serval est ensuite devenue l’opération Barkhane qui avait une extension géographique beaucoup plus large. On est passé à un mandat sous régional qui couvrait les cinq pays du Sahel. Cette extension est un mandat beaucoup moins ciblé que celui de l’opération Serval a dilué les objectifs politiques poursuivis.
La présence Russe au Mali
Niagalé Bagayoko : Le sommet de Pau, durant lequel Emmanuel Macron a convoqué les chefs d’États sahéliens en janvier 2020, a été mal accueilli par certains Maliens. Depuis, se développent une alternative et un tropisme pro-russe au Mali avec l’arrivée des mercenaires Wagner, qui sont une présence non-officielle. Il y a deux types de présence russes. La Russie, à travers la coopération du Mali avec l’Union Soviétique, qui est un partenaire historique. Parmi les élites maliennes, il y a beaucoup de personnes civiles ou militaires qui ont été formées dans le pays et qui en pratiquent la langue.
Il y a donc un terreau extrêmement favorable et on ne peut pas parler de nouveaux arrivants. D’autre part, des accords bilatéraux parfaitement officiels ont été signés d’abord par le président Traoré, ensuite par le président IBK, et enfin élargis par les autorités actuelles. La question qui se pose est de savoir s’il y a une contractualisation de cette société militaire privée Wagner, dont les liens avec le Kremlin sont avérés, mais difficiles à démonter juridiquement. La question est aussi de savoir quel type de personnel est associé à des fonctions combattantes ou non. La Russie va-t-elle prendre l’espace laissé vacant par les Européens ?
Comment est perçue la France dans l’opinion publique sahélienne ?
Niagalé Bagayoko : La France se retrouve dans une posture extrêmement délicate. Aux yeux d’une grande partie des populations, elle n’apparaît plus comme une garantie de sécurité mais au contraire comme un risque sécuritaire. Le moyens massifs déployés, y compris d’un point de vue technologique, ont suscité énormément d’attentes localement. Il y a eu une véritable foi et un enthousiasme en 2013 qui peu à peu ont été déçus. Récemment, c’est de la colère et de l’exaspération qu’on a vue s’exprimer.
Bonjour