Le vendredi 23 juin 2023, le monde entier apprend avec grande surprise, l’entrée en rébellion d’Evgueni Prigojine, le patron du groupe paramilitaire privé Wagner contre le commandement militaire de la Russie. Cet événement a relégué tout le reste de l’actualité au second plan en quelques heures. Partenaires et adversaires de la Russie avaient tous les yeux rivés sur le front sud. En 24 heures, les troupes de Wagner, parties de leur base en Ukraine, affirmaient être à 200 km de Moscou. Contre toute attente, Prigojine annonce la fin de sa rébellion, suite à une médiation du Président Biélorusse, Alexandre Loukachenko. Les troupes réintègrent leurs bases et leur chef est annoncé pour le chemin de l’exil en Biélorussie. Depuis cette folle journée, bien des questionnements restent sans réponse. Que s’est-il réellement passé ? Poutine a-t-il fabriqué un monstre devenu incontrôlable ? Paie-t-il pour les insuffisances de résultats dans la guerre en Ukraine ? Est-ce le début du déclin ? Rébellion avortée ou ruse de guerre ou encore stratagème pour démasquer des ennemis internes ? Et d’ailleurs, quelles conséquences pour la présence de Wagner en Afrique ?
Ce sont là autant de questions non exhaustives que suscite ce qui pourrait être considéré comme un coup de folie d’Evgueni Prigojine. Au cours de ces derniers mois, il ne ratait aucune occupation de dire tout le mal qu’il pensait du commandement militaire russe. La dernière en date est cette accusation ouverte de bombardement de ses positions en Ukraine par l’armée russe. Etait-ce une déclaration de guerre ? Tout porte à le croire. Curieusement, pendant la brève offensive de Wagner, l’on a constaté une certaine inaction de l’armée russe quoique certaines sources évoquent plusieurs dégâts humains et matériels. On parle notamment d’une quinzaine de morts et de la destruction de vecteurs aériens (6 hélicoptères et un avion militaire). Mais ces informations ne sont pas encore confirmées ni de sources officielles russes ni de Wagner.
Mieux, pendant quelques heures, la milice Wagner a occupé les locaux de l’Etat-major tactique des opérations en Ukraine dans la ville de Rostov-sur-le Don, située au sud de la Russie. Face à cette situation, le Président Russe Vladimir Poutine dont la toute-puissance semblait ainsi remise en cause, a fait une déclaration à la nation dénonçant la « trahison » du chef de la milice Wagner et promettant une réponse à la hauteur de l’affront. Toutefois, il a laissé la porte ouverte en promettant l’abandon de poursuites contre les éléments de Wagner s’ils déposent les armes.
Toute la journée du samedi 24 juin 2023, le monde entier était focalisé sur cette bien curieuse rébellion. En Afrique, elle suscitait davantage d’intérêt au regard de l’offensive russe sur le continent ainsi que la présence du Groupe Wagner dans certains pays, notamment, la Centrafrique, le Mali et le Soudan.
Présentée comme une grande puissance solide, stable et seule alternative à l’hégémonie dominatrice de l’occident, notamment la France, la Russie venait ainsi d’étaler à la face du monde ses fragilités internes et les menaces que cela peut faire peser sur ses partenaires africains. Au-delà de l’impact de ce mouvement d’humeur de Prigojine et son groupe Wagner dans la géopolitique mondiale, l’on peut s’interroger légitimement sur ses conséquences pour les pays africains qui ont recours aux services de ces mercenaires. Comme l’a si bien relevé, le quotidien L’Observateur Paalga dans son édition du Lundi 26 juin 2023 (https://www.lobservateur.bf/ Rébellion du Groupe Wagner en Russie: avertissement sans frais pour leurs clients africains), si Wagner est capable de se rebeller contre le Tout-puissant maître du Kremlin, ce ne sont pas les régimes au pouvoir qui ont recours à ces services qui seront à l’abri de leur saute d’humeur ou leur envie de pouvoir, ou encore d’autres offres concurrentes. Par ce mouvement du week-end, Prigojine et Wagner montrent qu’ils sont prêts à tout pour le pouvoir ou pour leurs intérêts ou ambitions.
Déjà qu’en Afrique, notamment en Centrafrique, ils pillent allègrement les ressources minières (or et diamants), on ne peut savoir jusqu’où, ils peuvent être capables d’aller pour conserver la mainmise sur la poule aux œufs d’or. Lire à ce sujet, l’article de notre confrère Jeune Afrique : https://www.jeuneafrique.com/Politique en Centrafrique: comment Wagner et Prigojine se sont allies à la mafia du diamant/.
Justement, ces événements imposent une clarification dans la présence de Wagner en Afrique, notamment le rapport entre le Kremlin, l’armée russe et le Groupe Wagner. Moscou a toujours soutenu que l’Etat Russe n’avait rien à voir avec le groupe Wagner qui est une entreprise privée qui a des contrats de prestations avec les Etats concernés. Mais dans ces pays, notamment au Mali, l’on a toujours soutenu qu’il s’agissait d’instructeurs militaires venus former les Forces armées maliennes (FAMA) à l’usage du matériel militaire acquis avec la Russie et non des mercenaires. Sur ce point, le ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, dans une interview accordée à la Chaine de télévision RT, a rassuré ses partenaires africains que Wagner poursuivra son « travail d’instructeurs » au Mali et en Centrafrique. C’est donc clair : il y a un lien entre ce groupe et l’Etat Russe. Prigojine va-t-il donc être éjecté au profit d’un autre fidèle ? Ce qui est certain, avec ou sans lui ces contrats de prestations se poursuivront. A quel prix ?
Dans tous les cas, montage ou rébellion avortée, cet événement est un marqueur réel des fragilités assez profondes de la Russie, de son armée et de ses dirigeants. Pour certains observateurs, c’est le début du déclin pour celui qui règne depuis 20 ans d’une main de fer sur la Russie et oppose une résistance à la domination occidentale.
En pleine guerre, chaque jour plus complexe, contre l’Ukraine et en campagne de séduction en Afrique, cet événement risque de semer le doute sur la toute-puissance de Poutine et de la Russie. D’autant plus que la Russie a du mal à honorer ses promesses de partenariats solides pour le développement, annoncés lors des grandes rencontres avec les dirigeants africains. Bref, cette affaire n’a pas encore révélé tous ses secrets ! Affaire à suivre donc !
Nerwatta KAFANDO
