Le 1er avril 2023, des sites d’informations, peu connus jusqu’alors, ont diffusé des articles et vidéos accusant trois journalistes burkinabè d’être des complices de deux consœurs, correspondantes des journaux français Le Monde et Libération. Cette vidéo devenue virale en quelques heures, partagées en boucle sur les réseaux sociaux, sans discernement, sentait pourtant le faux et une volonté manifeste, de jeter du discrédit sur des journalistes. Un peu plus d’un mois plus tard soit le 10 mai dernier, c’est le Bimensuel L’Evènement qui est dans le collimateur des producteurs de l’infox. C’est clair ! La guerre de l’information fait rage et est de plus en plus sans concession pour ces officines de la manipulation et de la désinformation. Dans son dernier rapport rendu public en début mai, Facebook affirme avoir supprimé 134 comptes ou pages de propagandes et désinformation sur le Burkina Faso. Que sait-on des sites ou médias sociaux qui diffusent ces fake news ?
Vendredi 31 mars 2023, les journalistes Sophie Douce et Agnès Faivre, correspondantes au Burkina respectivement des journaux français « Le Monde » et « Libération », ont été auditionnés par la sûreté de l’Etat sur leur travail au Burkina Faso, puis sommées de quitter le territoire burkinabè dans les 24 heures. Elles se sont exécutées et ont quitté le Burkina dans le 1er avril 23.
Cette expulsion fait suite à la publication par le journal Libération, le 27 mars 2023, d’une enquête sur une vidéo montrant des exactions attribuées aux Forces de défense et de sécurité du Burkina. L’enquête a été menée par une équipe de trois journalistes de Libération autres que la correspondante sur place à Ouagadougou.
Suite à la publication de cette vidéo, le site d’informations « La voix d’Afrique » publie, le lendemain 28 mars 2023, un article qui accuse Libération de « faire passer des infox au profit de ses propres intérêts ». Quand on visite le site de la voix d’Afrique, l’on constate qu’il a produit de nombreux articles sur la Transition, les autorités de la Transition, avec un « ton » plus que bienveillant, à la limite de la laudation. Et ce n’est pas tout. Une autre campagne numérique a été entamée par un autre site d’information, « Afrique libre ». Dans un article, ce site affirme qu’une ONG, IRD, a « fait infiltrer des journalistes espions venus de France ». Cependant, il convient de noter que l’IRD n’est pas une ONG mais un institut de recherche basé à Ouagadougou depuis 75 ans. Des doutes existent donc sur la crédibilité de l’article et de son auteur.
Au même moment, la page Facebook d’une chaîne youtube dénommée Wadjey’s TV a diffusé une vidéo accusant les deux médias français d’être de connivence avec des journalistes burkinabè pour déstabiliser la Transition. Wadjey’s TV cite les journalistes Lamine Traoré de Oméga Médias, Hyacinthe Sanou de Studio Yafa et Boukari Ouoba de Le Reporter, par ailleurs Secrétaire général de l’Association des journalistes du Burkina (AJB). La vidéo de 2 minutes 11 secondes reprend pratiquement le texte de l’article publié par Afrique libre. Ce montage vidéo accuse l’IRD d’avoir mis à la disposition des journalistes françaises, de grosses sommes d’argent censées payer des journalistes et des leaders de la communauté peulh pour pouvoir faire des témoignages ». Mais en vérifiant, il ne s’agit pas d’une chaîne de télévision mais d’une vidéo montée avec l’apparence d’une production télévisuelle. L’accent de la « journaliste » dénote également qu’il ne s’agit pas d’une voix de francophone. En plus, l’on peut distinguer deux voix différentes qui ont rendu le texte.
Le 10 mai 2023, le Bimensuel L’Evènement révèle deux virements d’un montant total de dix milliards de francs CFA du compte de l’Assemblée nationale destinée à la construction du futur siège de l’institution au profit d’une société de privée African Security and Equipements. Le Journal évoque le mystère autour de ces virements au regard de l’objet de l’ouverture et l’alimentation du compte par les deux précédentes législatures. Il n’en fallait pas plus pour que deux sites (www.leuropeafrique.info et www.dounia.info ) tombent à bras raccourcis sur l’Evènement en affirmant l’un qu’il diffuse de fausses informations pour ternir l’image des autorités de transition et l’autre qu’il est en mission de diffamations de celles-ci.
Mais quels sont ces « médias » producteurs de fake news ?
En cherchant à savoir quels sont ces sites qui ont monté et fait circuler ces informations, il y a bien des choses qui intriguent. Déjà, il convient de noter qu’il ne s’agit pas de médias burkinabè. D’abord, sur le site « Afrique libre », toutes les informations sont axées sur le Burkina Faso et mettent l’accent sur les actions du Capitaine Ibrahim Traoré et du gouvernement de transition. Curieux pour un média dont le nom appelle à la diversification des productions. Une recherche plus approfondie permet de découvrir les coordonnées administratives des responsables de ce site. Il est enregistré au nom d’un certain Sekou Traoré avec une boîte postale ivoirienne, un numéro de téléphone également ivoirien avec l’indicatif +225. Ensuite, le site d’information La voix d’Afrique a la même coloration ; des contenus essentiellement axés sur le président de la Transition. Ces articles, quand ils ne justifient pas les décisions du gouvernement de transition, ils les expliquent.
En ce qui concerne Wadjey’s TV, sur la chaîne youtube de diffusion vidéo, l’on apprend qu’elle a été créée le 29 novembre 2022, pratiquement deux mois après la prise du pouvoir par le Capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso. Depuis sa création, elle a diffusé 33 vidéos, portant uniquement sur le président de la Transition burkinabè et le MPSR 2. 511 personnes sont abonnées à la page et les vidéos ont été regardées 69.722 fois. La chaîne serait basée au Ghana. Elle dispose également d’une page Facebook ( https://www.facebook.com/Wadjeys226 ) créée précédemment en juillet 2022. Que ce soit Afrique libre ou que ce soit la voix d’Afrique, ces sites ont des points communs : GPCI.
Le Site www.leuropeafrique.info a été créé le 2 juin2022. Il avait également une page Facebook (https://www.facebook.com/Leuropeafrique.info) qui a été désactivée et n’est donc plus accessible. Enfin Dounia Info avait aussi une page FacebooK créée le 8 décembre 2022. Cell-ci a été également désactivée par Facebook du fait de la propagande.
A propos de GPCI
Sur les sites Afrique Libre et la voix d’Afrique, l’on a constaté que le GPCI (Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement) est très présent. Cette structure appartient à un certain Harouna Douamba qui en est le PDG. Le GPCI dit évoluer dans la stratégie et la création de contenus, la conception de sites web et le marketing politique, entre autres. Il est basé à Lomé, au Togo. Harouna Douamba est connu comme le promoteur d’ailleurs de plusieurs sites d’informations sur plusieurs pays en Afrique et avec un passé peu reluisant, notamment, en République centrafricaine où il est qualifié d’ « imposteur panafricaniste en quête de pitance ». Beaucoup de productions de sites en lien avec GPCI sont reprises par des pages Facebook très proches de la Russie.
Tous ces sites ont pour point commun, la diffusion d’informations sur les autorités de la Transition burkinabè. Mais ce n’est pas tout. L’on peut voir qu’il existe en permanence sur Afrique libre, des annonces publicitaires : une vidéo faisant la promotion des activités du GPCI (Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement), des vœux de Noël de GPCI et une affiche de création de site au nom de GPCI, avec un numéro de téléphone avec pour indicatif +228 (NDLR : Togo). Sur ces sites, ce sont des dizaines d’articles qui sont consacrés à Harouna Douamba.
Par ailleurs le dernier rapport de All Eyes on Wagner (AEOW), a révélé que Harouna Douamba est propriétaire de plusieurs associations et ONG à travers l’Afrique. Sa proximité avec le groupe privé de sécurité Wagner semble forte, au regard de l’ensemble de ses structures qui font la promotion de la Russie. D’anciennes associations notamment Aimons notre Afrique (ANA) de Harouna Douamba avaient été démantelées par Facebook et la nouvelle forme d’expression de Harouna Douamba sur le continent semble être le GPCI. Il avait créé un réseau dénommé ANAcom dont les pages ont été également démantelées sur Facebook. Les sites Leuropeafrique et Dounia Info appartiennent justement au réseau ANAcom.
Comme on le voit, le Burkina Faso, en plus de subir les affres du terrorisme, fait face à de véritables campagnes de désinformation et de manipulations. Des officines de la protandre et de la production de fake news tentent de prendre le contrôle de l’information et de la bataille de l’opinion. Des sites dédiés à la propagande pro-pouvoir et pro-russe, inondent régulièrement les réseaux sociaux de fausses nouvelles et tentent de discréditer des médias professionnels et indépendants et des journalistes dont les productions sont critiques ou dénoncent la gouvernance de la transition.