27 juillet 2024
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Retour de Blaise Compaoré : Une « réconciliation au forceps décidée par le MPSR, en jetant aux orties le droit, la Justice et les institutions » Dr Mamadou Hébié

Ce diagnostic est de Dr Mamadou Hébié, juriste, enseignant de droit. Tout en déplorant la situation dans laquelle le Burkina s’est retrouvé, il estime qu’il « est temps que le peuple reprenne le contrôle de son avenir, (…) mettre fin à cette transition en proposant une solution consensuelle et crédible à la crise institutionnelle causée, d’une part, par la gouvernance du régime Kaboré et, d’autre part, par le coup d’Etat de janvier 2022 ». Lisez !

1. J’observe avec beaucoup de bonheur et d’espérance l’indignation qui s’exprime face à la « réunion de haut niveau » organisée pour réaliser la réconciliation au forceps décidée par le MPSR, en jetant aux orties le droit, la Justice, et les institutions, sans mentionner la douleur et les pleurs des victimes. Ceux qui brûlent les cimetières n’ont jamais eu peur des cris et des pleurs des cadavres ; et le MPSR avait déjà indiqué tout le respect qu’il voue aux règles, aux institutions et aux procédures, lors de la mascarade de sa prétendue prestation de serment.

2. Aussi louable que soit ce sursaut qui ceint le peuple burkinabè de dignité, il indique en même temps une réalité moins reluisante : à savoir le fait que le peuple Burkinabè n’est pas maître de l’agenda, des finalités ou de l’horloge et du temps de cette transition. Dans notre attitude d’attendre pour voir, on n’a avalé tant de couleuvres qu’au final le MPSR a décidé d’enfoncer des boas dans nos gorges… Il est temps que le peuple reprenne le contrôle de son avenir.

3. Il est donc impératif de mettre fin à cette transition en proposant une solution consensuelle et crédible à la crise institutionnelle causée, d’une part, par la gouvernance du régime Kaboré et, d’autre part, par le coup d’Etat de janvier 2022. Cela nous permettra de revenir à la logique institutionnelle, en retournant autour de ce que nous avons de commun : des règles, des institutions et des procédures reflétant un Etat de droit porté par des personnes consensuelles et crédibles qui fédèrent l’énergie collective et populaire.

4. Comment y procéder ? Il faut certainement institutionnaliser/incarner l’indignation de ces derniers jours et ne pas la laisser s’essouffler comme bien d’autres fois. Pour cela, il faudrait lui assigner une mission claire : le retour à des institutions consensuelles et crédibles afin d’organiser un retour à un ordre constitutionnel et à un Etat de droit dans les plus brefs délais. Le « Front patriotique » qui a été mentionné pourrait être un bon noyau. Il faudrait sans doute l’élargir à toutes les composantes de la société burkinabè. Toutes nos dernières légitimités, notamment celles culturelles, religieuses, politiques, syndicales et intellectuelles, doivent donc s’unir pour cette lutte pour l’âme du Burkina Faso.

5. Puisque la situation sécuritaire ne permettrait pas la tenue des élections sur toute l’étendue du territoire, une autre méthode, toute aussi consensuelle et fédératrice doit être trouvée pour organiser le retour au respect des institutions et à l’Etat de droit : la conférence nationale souveraine. L’intérêt de cette conférence souveraine est qu’elle permettrait d’aborder en profondeur ces questions de Justice, de Justice sociale, de bonne gouvernance, de rapport au droit et aux institutions, et de fractures sociales qui minent notre vivre-ensemble et dont se nourrit la crise sécuritaire. Une conférence souveraine permettrait également de fixer une fois pour tout le rôle de l’armée dans notre Etat : à savoir les casernes. Il s’agira donc d’élaborer un contrat social et un projet de société qui réflètent les aspirations profondes du peuple burkinabè.

6. Enfin, il faudra à un certain moment examiner plus sérieusement la question sécuritaire. Elle est invoquée comme l’argument décisif pour faire accepter tous les sacrifices, surtout ceux qui n’ont rien à voir avec elle. Si on admet que la crise sécuritaire est la résultante d’une trentaine d’années de mauvaise gouvernance, de faible taux d’éducation, d’absence d’emplois pour les jeunes, d’avancée du désert, d’absence d’Etat (à savoir une entité qui exerce un contrôle sur les espaces, les personnes et les transactions), il est évident que cette crise ne se résoudra pas par la force des armes. Elle peut être en revanche résolue dans le cadre d’institutions crédibles d’un Etat de droit qui crée de la richesse et en assure un partage équitable, rendant Justice à tous. Sur ces questions, un pouvoir militaire n’a aucun leadership naturel.

7. Il y aura sans doute besoin de puissance kinétique ici et là pour forcer certains délinquants et bandits de grand chemin à déposer les armes et à rentrer dans l’ordre républicain. Mais il y aura surtout besoin de renforcer la sécurité intérieure, autour des gendarmes, des policiers et du renseignement. L’armée interviendra certainement en défendant nos frontières. Elle pourra même intervenir pour juguler certaines menaces internes : mais seulement sur invitation des autorités politiques civiles ou demande des forces chargées de la sécurité extérieure. Pour tout cela, il n’est point besoin d’un président militaire et encore moins d’un Etat d’exception. Retourner à l’Etat de droit reste donc un impératif, surtout dans la crise que nous vivons. En effet, il ne faut pas ajouter à la crise sécuritaire, une crise politique et institutionnelle. C’est en résolvant la crise politique et institutionnelle qu’on se donnera toutes les chances de résoudre celle sécuritaire. Il ne faut pas se tromper d’analyse ou de combat.

8. Pour conclure, notre peuple ne doit être otage ni de militaires ni de politiciens en fin de carrière. Tout au contraire ; il doit reprendre les rênes de son destin, en étant maître de l’agenda, du chronogramme, et des finalités de toutes les actions qui concernent son avenir. C’est à cette seule condition qu’on retrouvera la paix. L’heure des messies, faux prophètes et charlatans de tout genre est terminée. À jamais.

Dr Mamadou Hebie

Professeur associé de droit international à l’université de Leiden aux Pays-Bas

Auparavant, Assistant spécial du président de la Cour internationale de Justice (2018-2021)

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